Recherche – Évaluation au Togo

RECHERCHE ÉVALUATION DES EFFETS D’UNE FORMATION DES FORMATEURS EN éDUCATION AU PREMIER CYCLE AU TOGO

Dominique Lahanier-Reuter
Équipe Théodile-CIREL
Université de Lille 3

Ce projet de recherche a pour objectif premier d’évaluer les effets d’une décision politique qui a modifié les principes des formations des nouveaux enseignants et inspecteurs au Togo. Ce changement a été étayé par des choix théoriques : recentrer les processus d’apprentissages sur les questionnements des élèves, refuser les modèles pédagogiques par « répétition et/ou complétion de la parole du maître » etc. Et il s’est actualisé de façon pragmatique dans la décision de faire appel à des acteurs des mouvements pédagogiques alternatifs pour assurer ce changement dans la formation des maîtres et des inspecteurs.

Ainsi, par cette suite d’actions, les modes d’enseignement dans l’enseignement public primaire au Togo sont-ils à l’heure actuelle interrogés et peut-être en voie d’être profondément modifiés. Si ces modifications sont sans doute souhaitées/souhaitables, reste à en décrire les effets, sur les fonctionnements des maîtres et sur les apprentissages de leurs élèves. Le projet que nous présentons est celui de fournir une évaluation de ces changements importants de politique éducative. Il concerne une situation géographiquement et historiquement délimitée, celle des années où les premiers maîtres formés entrent en fonction dans l’enseignement public primaire togolais.

Nous commençons par décrire l’objet de ce projet de recherche ainsi que les intérêts, la pertinence que nous lui attribuons. Nous développons ensuite quelques-uns des principaux résultats auxquels nous espérons parvenir, puis les méthodologies sur lesquelles nous nous appuyons. Après avoir présenté l’équipe de chercheurs que nous avons réunie, nous exposons le calendrier prévisionnel de cette recherche.

Une recherche évaluative sur les effets d’un mode pédagogique

Des principes pédagogiques reconnus aux dispositifs adéquats

Le projet politique que nous avons brièvement évoqué est un projet dont l’intérêt en termes de soutien à l’éducation scolaire est attesté: les principes pédagogiques qui sont revendiqués ici sont des principes dont l’efficacité en termes d’apprentissages scolaires est depuis longtemps étudiée, défendue et reconnue par de nombreux chercheurs en éducation, tant francophones qu’anglophones (voire au Japon…). Que le questionnement soit un des piliers de l’apprentissage et indispensable à la construction d’un sens donné aux contenus enseignés est attesté par l’ensemble des chercheurs qui défendent l’hypothèse constructiviste ; que le tâtonnement, que les essais et les erreurs soient possibles et essentiels dans l’espace de l’école, que les élèves puissent s’y exprimer, que les enseignements ne soient pas uniquement des recettes ou des discours à reproduire, que l’école soit ouverte sur l’extérieur, qu’elle soit un lieu d’apprentissage de la coopération et de la démocratie sont des principes identifiés comme pertinents pour construire de façon adéquate des apprentissages (Les références ne peuvent être exhaustives, nous renvoyons à des auteurs illustres tels Piaget, Bernstein, Brossard, Bronckart… aux textes des grands courants pédagogiques, Montessori, Freinet…ainsi qu’à ceux des historiens de l’éducation comme Prost, Chervel…).

Cependant, ces chercheurs soulignent aussi les difficultés à mettre en œuvre ces principes par les enseignants dans l’espace de la classe. L’élaboration de dispositifs correspondant à ces principes est une élaboration délicate. En effet, le poids des facteurs sociologiques est encore trop souvent perçu comme un frein implacable à toute remise en cause des modes usuels d’enseignement : tout changement bénéfique étant entièrement suspendu à des modifications premières de ces caractéristiques sociales et surtout le poids des représentations qui lui sont associées, les exigences des décisions immédiates à prendre dans l’urgence de la situation font que nombre d’entre eux peuvent être oubliés. Toujours dans cet espace, il est difficile de percevoir, et il est rare de se donner les moyens de vérifier que les élèves ont perçus ces principes, qu’ils les ont reconnus et qu’ils sont prêts à les adopter.

Des modifications non congruentes dans les différents espaces : formations et pratiques de classe

Les modifications que vont subir les formations des formateurs d’enseignants sont des modifications importantes. Mais comme nous le savons, les modifications dans ces espaces n’entrainent pas immédiatement des modifications identiques dans leur ampleur dans l’espace des pratiques (la lenteur des bougés, l’interprétation individuelle, les confrontations avec les collègues et la hiérarchie et parfois les parents).

Ensuite il y a la non congruence (ou le peu de congruence) entre l’espace des enseignements et celui des apprentissages. Les contenus ne sont pas les mêmes, les résistances sont imprévisibles et des difficultés résolues peuvent masquer l’apparition de nouvelles : en résolvant une des difficultés par un dispositif (le texte libre) on obtient des élèves une expression riche, etc. mais on dévoile d’autres difficultés : tout bêtement les erreurs orthographiques sont parfois plus manifestes, car le texte est plus long et l’attention des élèves s’atténue. Le temps aussi est un facteur à prendre en compte : le temps des apprentissages est tellement différent et tellement assujetti à de multiples facteurs !!

Ces multiples raisons concourent à établir la pertinence de cette recherche au regard de la situation évoquée. Cependant, cette pertinence peut être défendue pour des raisons qui excèdent cette situation.

Une recherche originale par sa centration sur les effets didactiques, sur les contenus appréhendés par les différents acteurs

Elle l’est aussi si nous dépassons le cadre de la situation évoquée : la plupart des recherches en éducation menées en Afrique s’inscrivent dans des cadres sociologiques, anthropologiques et psychologiques. Elles ont permis de mettre en évidence, de quantifier les influences de composantes, dimensions, facteurs sociaux, institutions etc. (Voir les différentes recherches, mais aussi les grandes formes d’évaluation : PASSEC, PISA, etc.). Cependant rares (à notre connaissance) sont celles qui ont pour objet les modes d’enseignement, les modes d’apprentissages : les essais, les ressentis, les espoirs et les craintes des acteurs dans la classe, ce qu’ils s’autorisent à faire, ce qu’ils s’interdisent…les contenus surtout qu’ils tentent d’enseigner, qu’ils pensent devoir apprendre, qu’ils peinent à s’approprier ou au contraire qu’ils maîtrisent avec une grande facilité.

C’est là aussi que réside un des intérêts de cette recherche, celui d’explorer des espaces didactiques (au sens francophone du terme), d’aborder le problème infiniment complexe de l’éducation scolaire sous l’angle des contenus enseignés et appris, en pensant les adultes et les enfants interrogés, observés, en tant que sujets définis par leurs relations à ces contenus.

Une recherche scientifique qui s’inscrit dans un questionnement large

Nous avons souligné ce qui constitue selon nous la pertinence et l’originalité de ce projet de recherche. Il ne faudrait cependant pas entendre que ce projet nait ex nihilo. Bien au contraire, il s’inscrit dans la perspective de recherche que nous menons depuis maintenant près de vingt ans au sein de l’équipe Théodile-CIREL de l’université de Lille 3. Pour rendre compte de cette inscription, nous n’exposons ici que quelques-uns des travaux que nous avons menés et que nous avons sélectionnés ici pour mieux l’établir. La question des évaluations des effets d’un changement de mode pédagogique a fait l’objet en particulier d’une longue recherche, financée durant cinq ans par les institutions en France. Elle a porté sur les effets justement d’une mise en œuvre d’enseignements se réclamant de la pédagogie Freinet dans une école primaire, de la maternelle au CM2. Cette recherche a fait l’objet de nombreuses publications et l’école elle-même est actuellement célèbre (voir les articles parus dans la presse Libération, Le Point, Les cahiers pédagogiques, Le café pédagogique…) au point qu’elle est régulièrement auditionnée et visitée par les instances chargées des politiques éducatives (en France notamment le CESE). Mais cette recherche n’est pas la seule à dessiner notre domaine d’investigations : après avoir travaillé/étudié les apprentissages disciplinaires, nous travaillons actuellement systématiquement sur les façons dont les élèves, aux différents niveaux de leur scolarité, dans les différentes filières de l’éducation nationale, se constituent en apprenants dans les différentes disciplines, leurs façons de concevoir ces espaces, les sens qu’ils donnent aux contenus qu’ils s’approprient, qu’ils se sont appropriés, les ressentis…

Ainsi, cette recherche est une recherche scientifique en ce qu’elle prend place dans un champ identifié et reconnu. En tant que telle, elle est par conséquent indépendante des différentes institutions et des différents acteurs dont les pratiques sont interrogées.